lundi 13 mai 2013

Neuvième anniversaire de « Mayu Aberkan » , T’kout se remémore



Les habitants de la ville de T’kout , Taghit et les localités environnantes s’apprête à commémorer  aujourd’hui  le neuvième anniversaire de « Mayu aberkan » ,  la date du 13 mai marque le début d’une répression féroce contre une population désarmée  , durant plusieurs mois les éléments de sécurité  auront " carte blanche " pour utiliser toutes les méthodes, non seulement pour rétablir l’ordre au plus vite mais aussi et surtout pour le faire de telle manière à ce que plus jamais les habitants de cette région ne puissent avoir l’idée de contester ou de protester contre n’importe quel abus des autorités , insulte , tabassage , violation de domicile , détention abusive , et viol  ,  toute la panoplie des violences physiques et psychologiques a été déployée  par les éléments de sécurité .


Genèse des évènements:
Le drame commence à Taghit , une commune voisine de Tkout , après l’assassinat d’un jeune homme abattu à bout pourtant par  un garde communal.  À l’origine du drame : un menu larcin d’une affligeante banalité, Chouaïb Argabi et son ami, Ali Remili de retour chez eux dérobent  quelques denrées alimentaires d’une épicerie de Ghassira , ils vont ensuite cacher leur maigre butin dans un bosquet  près du cantonnement de la garde communale  en se promettant de revenir la nuit venue le récupérer , d’après le Djamel Alilat , journaliste  de liberté-Algérie à l’époque qui a recueillis les témoignages de  la famille de Chouaïb Argabi , les gardes communaux furent  informé de la rapine des deux  amis et de l’endroit où se trouvait leur butin , ainsi lorsque les deux jeunes arrivèrent sur les lieus  , les gardes communaux les attendaient  déjà ,  « Il est 20h30, il fait nuit, mais trois puissants projecteurs convergent leur lumière vers la scène où va se dérouler le drame. Un garde tire sur Chouaïb à bout portant. Sans sommation. À trois ou quatre mètres de distance, il lui loge 8 balles dans la tête et dans le thorax. Son ami, lui, est indemne mais il est en état de choc. Des villageois affirment avoir entendu une voix rageuse qui criait : “Amar, arrête de tirer !”. Et le dénommé Amar de répondre : “C’est bien Chouaïb qui est mort, n’est-ce pas ?”. C’est l’un de ses collègues qui a arrêté le tireur en levant le canon de son arme vers le ciel et en lui criant : “Habess ya âmar !” » . Après avoir ouvert le feu, les gardes communaux ont laissé le mort sur place en écartant les curieux et sont allés chercher les militaires cantonnés à Tighanimine. À 1 heure du matin, après avoir fermé la route à la circulation, la dépouille du jeune Chouaïb est emmenée à la morgue d’Arris puis à Batna.

Après avoir appris la tragique nouvelle ainsi que la bavure et le comportement pour le moins équivoque des gardes communaux,  les  habitants de Taghit en conclurent qu’il  s’agissait d’un règlement de compte, tout le monde avait encore à l’esprit  la mésaventure de Chouaïb Argabi au lycée de Tkout  où il fut renvoyé par l’administration à cause de son appartenance au mouvement citoyen des Aurès alors très actif dans la région , ainsi que pour ses idées berbéristes jugées subversives .

Ce drame  va  mettre le feu aux poudres et embraser toute la région, il donnera lieu au fameux « Mayu aberken » (Mai le noir) où la répression féroce des éléments de sécurité conjuguée à une justice aux ordres,  va s’acharner des mois durant sur une population  déjà martyrisée par la pauvreté et le dénuement,  violence , tabassage , violation de domicile  , insulte , torture , sodomie , la population de Tkout a vécu un cauchemar qui rappelait par sa sauvagerie celui des parachutistes français pendant la guerre de révolution dont la région été le bastion .
Chronologie des évènements :
-   Le  14 mai, au lendemain de la mort de Chouaïb Argabi ,  au centre de Tkout, Selim Yezza, l’un des délégués les plus en vue du mouvement citoyen des Aurès , anime un meeting où il  appelle à la solidarité avec les citoyens  de Taghit. Aussitôt, des dizaines de jeunes prennent la direction de cette localité. Arrivés là-bas, ils ferment la route à la circulation et exigent le départ des gardes communaux.
 -  A l’arrivée des militaires d’Arris, les gardes communaux sont désarmés et cantonnés dans une mosquée tenue sous bonne garde. Vers 19 heures, les jeunes de Tkout, Taghit et Ghassira investissent la petite caserne des gardes communaux et sortent tout ce qui s’y trouve sur la chaussée avant d’y mettre le feu. 
 -  Vers 13 heures, le commandant du secteur militaire arrive, accompagné d’un colonel. il parlementera  avec Selim Yezza. Mais le ton monte rapidement entre le colonel et le délégué du mouvement citoyen, le dialogue tournera court.
- Les autorités semblent privilégier la force, un renfort de force anti-émeute  arrivera d’Ain Yagout  dans l’après-midi, Salim Yezza et son ami Abderazzak  seront désigné comme étant les meneurs de la contestation, ils auront à peine le temps de fuir.
- Les forces anti-émeute investissent la ville de Tkout , Ils tabassent et arrosent copieusement d’injures tous ceux qu’ils trouvent sur leur chemin, y compris ceux qui sortent de la mosquée , perquisitionnent des maisons et  multiplient les arrestations ,
- Les personnes arrêtées, dont des parents et des personnes mineures, vont subir de très graves sévices : les détenus étaient systématiquement injuriés, insultés, giflés, déshabillés, puis roués de coups sur toutes les parties du corps, des témoignages incontestables font état de sodomie pratiquée par les gendarmes sur les jeunes détenus.
- Les forces de sécurité vont ensuite investir la ville, la bouclant entièrement, sans aucune possibilité pour quiconque d’y entrer ou d’en sortir par la route.
- Les domiciles des personnes en fuite particulièrement les membres du mouvement citoyen sont étroitement surveillés et leurs parents et membres de leurs familles sont l’objet de toutes sortes de menaces et d’intimidations, le père de Salim Yezza ainsi que son frère cadet seront arrêté, sommairement jugés, condamnés puis  écroués à la prison d’Arris.
 - Après cette semaine folle, le nombre des arrestations s’élève à  plus de 120, dont 37 d’entre eux vont  être  déférés   devant le procureur près le tribunal d’Arris.
-    Le 26 mai ; le journal  « Le matin » sous la plume de Abla Cherif  publie un article qui  choquera  l’opinion publique algérienne, la journaliste  a rencontré des jeunes Tkoutis qui venaient d’être libérés des locaux de la gendarmerie  et leur a donné la parole  « Ils ont pris tout le groupe et nous ont alignés après nous avoir déshabillés. Ils nous ont demandé de nous pencher vers l'avant » « La plupart ont été sodomisés, voilà la vérité. Beaucoup ont d'ailleurs énormément de mal à reprendre le dessus. Mais la torture ne s'est pas arrêtée là. Les jeunes arrivaient au fur et à mesure. Les gendarmes les ont déshabillés et obligés à s'agenouiller. "A genoux, faites la prière", lançaient-ils  …..
-Le même jour dans les colonnes du  journal Le matin, Mohamed Benchicou le directeur, dénonce cet « Abou Ghraïb algérien »  dans l’une de ces célèbres chroniques dont le titre est inspiré par un graffiti trouvé sur un mur de Tkout , « Cette Algérie qui hurle en silence »

- Le 26 mai , une enquête est conduite par des fonctionnaires du Ministère de la justice dépendant de la cour de Batna. Ceux-ci conclus à l’absence de torture en dépit du fait que neuf des jeunes gens arrêtés auraient réitéré les déclarations faites à la presse. Le lendemain, un  communiqué de la gendarmerie nationale nie toute pratique de torture infligée aux détenus de T'kout.
-    29 mai, les commerçants de la ville de Tkout n’ont pas ouvert leur boutiques  à l’appel des animateurs du mouvement citoyen  qui la veille ont distribué des tracts appelant tous les commerçant de la ville de Tkout de faire grève  en signe de protestation . Abbas Djamel, le maire de la commune, et certains élus ont tenté de persuader les commerçants d’ouvrir leurs magasins en vain.
-une marche a été prévue mais n’a pas pu eu lieu finalement.
- En même temps, se tenait à Arris le procès de  jeunes arrêtés. Accusés  d’
attroupements, incitation à attroupement, diffusion de tracts et atteinte aux biens d’autrui, condamné à de lourdes peines :

Meziani Fouzi (huit mois), Beziane Abdelouahab (six mois), Abassi Rachid (six mois), Daoudi Essaid (six mois), Aichi Hessane (huit mois), Yeza Abdeslam (huit mois), Titaouine Salim (huit mois), Lounissi Abdelkrim (six mois), Yakoub Abderrezak (huit mois), Zerdoumi Abdelmadjid (six mois), Chatri Khaled (trois mois), Saidi Rachid (six mois), Berbachi Ali (trois mois), Kerbai Samir (trois mois), Kerbai Mohamed Tayeb ( trois mois), Meziani Karim (trois mois), Gharik Ahcene (trois mois), Bezala Essaid (trois mois), Yeza Salim (En fuite , 2 ans de prison ferme , et mandat d’arrêt .), Megharmi Djamel (1 an), Boussetta Abdenacer (huit mois), Djouara Djamel (huit mois), Yeza Mohamed (trois mois), Khellafi Toufik (trois mois), Agali Abderrezak (trois mois), Titaouine Ali (six mois), Bezala Ali (six mois), Lounissi Tahar (trois mois), Zerdoumi Amar (six mois)
, djaafer Abderrezagui (deux mois) , Karim Yezza ( deux mois) . Ces peines seront confirmé par le tribunal de Batna quelque dizaine de jours après dans un simulacre de procès comme l’ont qualifié les avocats des accusés et les défenseurs des droits de l’homme, cinq  jeunes seront acquittés.
  - Le élus communaux rendent  public un communiqué pour dire qu’il n’y a jamais eu de «torture sur les jeunes qui ont été arrêtés, qui sont tous majeurs. Leur nombre, ajoute le communiqué, ne dépasse par 28, pour dire qu’il n’y a eu aucune atteinte à l’intégrité des femmes, ni violation de domicile au cours de l’intervention des forces de l’ordre». Les élus affirment dans leur communiqué que «des parents ont remis, en connaissance de cause, leurs enfants aux éléments de la gendarmerie». Dans plusieurs localité des Aurès auront lieu des actions de protestation en solidarité avec les jeunes de T’kout , à Zoui ( Aith Réchech) elles vont dégénérés en émeutes contre les gendarmes, 30 jeunes seront arrêté et présenter devant le procureur de la république.
- 30 mai, le quotidien Liberté publie de nouveaux témoignages de jeunes de T'kout torturés par les gendarmes. 
- Une caravane du mouvement citoyen de Kabylie  qui est venu exprimer leur solidarité avec les familles de victimes ont dû rebrousser chemin empêchée par les barrages de la gendarmerie nationale  de participer au sit-in de protestation prévu devant le tribunal d’Arris où seront traduits les manifestants et délégués. 
- 1 juin, une conférence de presse organisée communément entre une délégation du mouvement citoyen de Kabylie (Belaïd Abrika) et des avocats du collectif de défense des détenus de T'kout (Mes Salah Hanoune et Fatiha Rahmouni ) s’est tenue à Alger pour alerter l'opinion publique nationale et internationale sur la gravité de la situation dans la ville de Tkout.  
- Le 14 juin, le ministère de la défense engage des poursuites à l’encontre de Mohamed Benchicou (alors emprisonné à la maison d’arrêt d’El harach pour une autre affaire) et la journaliste Abla Chérif pour la publication de témoignages de jeunes citoyens de T'kout affirmant avoir été torturés après leur arrestation par la gendarmerie. Les deux mis en cause sont accusés de diffamation et d'outrage à une institution officielle. Le procès a été fixé au 6 juillet prochain au tribunal de Sidi M'hamed.
-  Un nouveau mandat d’arrêt  sera délivrer contre  Salim Yezza assorti d’une condamnation à un an de prison ferme par contumace  , dans l’affaire dite des caricatures contre Bouteflika  ,  le 1 octobre 2003 à la veille de la visite du président de la république à Arris , Salim Yezza avait distribué des tracts avec une caricature qui critique  une déclaration du président qui avait qualifié les chaouis de « goinfreur de makrout » . 
- Le 6 juillet, le jour de procès, la partie plaignante représentée par le ministère de la Défense, ne s'est pas présentée au tribunal .La juge du siège décide du renvoi de l'audition au 9 novembre prochain. (il sera reporté encore une fois, et renvoyé au 24 novembre) . 
- Les témoins auront  fait le voyage Tkout- Alger 3 fois,  bravant la fatigue et la longueur du trajet,  le père de Salim et sa  mère seront  présents pour  le 24 novembre. 
- une grève générale dans la ville de T’kout organisée par le mouvement citoyen des Aurès en signe de soutien aux deux journalistes du Matin. 
-17 juillet, la répression continu à Tkout ,  trois jeunes , Mounir B., Y. Aït Semer et H. Athmani  alors qu'ils collaient des affiches appelant à la libération des détenus du mouvement citoyen et des journalistes, ont été arrêtés, les affiches en question montraient les photos des jeunes incarcérés soulignées par le mot d'ordre « Ulac smah ! » . 
- le 24 juillet, Le Matin est suspendu et mis en liquidation par ses actionnaires.  
- Le 24 novembre l’affaire est jugée, le père et la mère de Salim Yezza étaient présent en tant que témoin, l’affaire est mise en délibéré, le 7 décembre Mohamed Benchicou et Abla Chérif sont acquittés, M. Benchicou restera en détention pour d’autre affaire.
Neuves ans après  T’kout  ne s’est pas encore remise du traumatisme de « Mayu Aberkan »,  les stigmates de ces douloureuses évènements sont encore vivaces dans les esprits des T’koutis , mais la fierté  de la  ville rebelle  et son amour pour la liberté est intacte , à l’image de leurs aînés Ug Zalemad , Muhaned Ameziane  , et Belkacem Grine , à T’kout il y aura toujours des bandits d’honneur .

3 commentaires:

  1. tu oubilée deux combatant ont été prisonnée mon frere djaafer ebderrezagui et mon cousin karim yezza les deux pour deux mois. :/ azul fellak et merci mon cher frere malgré uchessinakhcha mais les publications nek et votre travail formidable .

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  2. @ Akçel Ilmathen : Dans notre article nous nous sommes basé sur les compte-rendu de la presse de l'époque et des témoignages de certaines personnes qui ont été des acteurs de ces évènements , pour Karim Yezza nous avions eu l'information qu'il a été bel et bien embraqué mais nous ignorions qu'il a été condamné à deux mois de prison .
    On va ajouter Djaafer Abderrezagui et Karim Yezza à la liste des jeunes condamné à la prison ferme , tanamirth awma .

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  3. Tanemirt Amraw n-amrir tɣawsa teḥla s ɣarek a uma ad tarid f sentel aya

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