dimanche 29 septembre 2013

Roger Tabra, parolier et écrivain français « Je reviendrai en Algérie si l'on m'invite officiellement » *

Né à Strasbourg, de père algérien et de mère allemande, Roger Tabra est un auteur, compositeur, interprète et parolier renommé, installé au Québec depuis les années1990. Homme entier, rebelle au caractère explosif, de nature romantique, passionné des mots depuis toujours. C'est à l'issue d'une longue période d'errance et de combats entre l'Algérie et la France que Roger Tabra prendra définitivement son envol et sa revanche sur un passé douloureux.

Grand maître des mots, il saisira l'opportunité de transformer sa passion en métier et deviendra le principal parolier d'Eric Lapointe, son vieil ami et complice avec lequel il signera de nombreux titres à succès tels "Mon ange", "Les années coup de poing, n'importe quoi"... Le dernier album d'Eric Lapointe "Le ciel de mes combats" entièrement écrit par Roger Tabra, certifié « Or » en quelques semaines. Alors âgé de 45 ans, Roger Tabra sortira également son propre album "Descente vers l'espoir" en tant qu'interprète qui s'avérera être un succès médiatique important. Il prendra cependant la décision de se consacrer à l'écriture et connaitra une ascension fulgurante en tant que parolier au Québec.
Il écrira notamment pour Garou, Isabelle Boulay, Dan Bigras, Marie-Chantale Toupin,Etienne Drapeau, Nadège Vacante,Sylvain Cossette et bien d'autres. Il signera également avec Sophie Nault "Entre nous", pour Johnny Hallyday ainsi que la majorité des textes de la célèbre comédie musicale « Dracula, entre l'amour et la mort » de Bruno Pelletier. Agé aujourd'hui de 62 ans,Roger Tabra est à l'apogée de sa carrière et continue d'écrire inlassablement en dépit d'une terrible maladie qui le ronge. L'artiste nous reviendra prochainement en tant qu'interprète avec la sortie de sonalbum hommage. Il est l'auteur du roman "La Folitude", publié aux éditions Michel Brulé où il retrace des moments forts d'une période de sa vie après une séparation douloureuse, Roger Tabra nous emmène dans un univers à la fois mystique, déchirant et énivrant, d'une descente aux enfers de l'âme et du corps.
Il écrit actuellement un second roman "Un orage au bout de la pluie" traitant de son enfance partagée entre l'Algérie et la France, enfance tumultueuse où il nous raconte la mémoire de son père et son indignation d'une jeunesse parsemée d'amour, de frustrations et de déchirements.Militant actif pour de nombreuses causes, notamment auprès d'associations de lutte contre le cancer et de femmes victimes de violences conjugales, Roger Tabra aime à se définir comme un "Amouriste" selon son propre terme, un grand homme au grand coeur, d'une culture rare, amateur d'art et de photographie, un personnage charismatique très apprécié pour ses textes à signature très forte.
Algérie News :
Quel a été votre parcours
en Algérie ?
Roger Tabra : Dans les années 1970, j'ai travaillé à la radio avec le producteur Noureddine Agoulmine, cependant et en tant que fils de militant du FLN, je n'ai pas vraiment apprécié que l'on me traite comme un étranger, de plus je souhaitais gagner l'Europe afin de pouvoir aider ma famille, ce que j'ai fait. J'ai travaillé ,dur pour leur envoyer de l'argent, puis

de retour en 1985, j'ai été très mal accueilli, aussi bien par mes proches, cela étant probablement dû à mes idées, mon comportement, mon look et ma soif de liberté. Je me suis aussitôt dit qu'effectivement ma place n'était peut-être pas là même si j'étais Algérien d'origine, mais Algérien différent.

Vous avez écrit pour de nombreux chanteurs français et québécois, votre rencontre avec Eric Lapointe paraît grandiose pour vous deux.N'est-ce pas ?
Oui, j'ai rencontré Eric dans les années 1990, il était mon voisin, nous sommes tout de suite devenus amis. Il m'a alors demandé de lui écrire une chanson et je lui ai dit : "De quoi veux-tu qu'elle parle ?", il a répondu "n'importe quoi" et c'est devenu le titre de celle-ci. J'ai écrit de nombreuses chansons pour Eric dont son dernier album, "Le ciel de mes combats" certifié or en quelques semaines.

Vous vous définissez selon votre propre terme comme un Amouriste comment auriez-vous envie de nous décrire l'homme que vous êtes ?

Je ne le décris pas, je l'écris dans mes chansons. Chaque chanson que j'écris pour les gens raconte un ,moment de ma vie, j'adapte en fonction de la vie du chanteur ou de la chanteuse de façon à ce que cela devienne une biographie pouvant être chantée par quatre-vingt ou cent interprètes différents, ma vie est dans mes chansons et dans les yeux de mon fils.
Décrivez-nous les grandes lignes de votre parcours en quelques phrases de votre enfance à aujourd'hui.

Oh my God ! Mon parcours, c'est plein de gens, c'est le parcours d'un enfant d'ouvrier qui a été ouvrier lui même, d'un enfant qui s'est retrouvé à avoir envie d'écrire et un jour on m'a donné l'opportunité de dire avec Eric Lapointe entre autre ce qu'il avait sur le coeur. C'est un parcours non scolastique, c'est un parcours empirique, c'est un parcours d'homme qui a peut-être réussi, qui a réussi à mettre des mots à côté d'autres mots pour en faire des phrases et devenir un faiseur de chansons : un poète.
Quel est aujourd'hui votre attachement et regard vis-à-vis de l'Algérie et quel message aimeriez-vous délivrer à ce pays ?

Mon regard, c'est que l'Algérie a été sans aucun doute le plus beau pays que j'ai visité. Il y a des gens exceptionnels. L'Algérie est un pays que je n'ai pas vraiment connu, c'est un pays qui m'a donné une chance de m'exprimer à la Radio puisque j'y ai produit de émissions. L'Algérie, c'est la mémoire de mon père, c'est la mémoire de mes racines et c'est un pays dans lequel à la fois j'ai envie de retourner mais je me dis que les gens comme moi, peut-être, n'y ont pas leur place et la dernière fois, ça fait tellement longtemps ! je me promenais avec ma femme et l'on me jetait des cailloux parce que je lui tenais la main et que j'avais les cheveux longs ! Il y avait des chars d'assaut dans les rues entre autres, de plus avec ce que je sais, ce que j'entends, ce que j'apprends par mes amis, mes frères là bas...c'est pas très cool, mais l'Algérie reste dans mon coeur...Pépé le Moko...ça reste la poésie du Kairouan qui arrive dans le port d'Alger...quand tu arrives dans le port d'Alger, c'est la plus belle ville du monde, c'est grand, c'est blanc, c'est beau, c'est La Casbah, c'est la pêcherie, c'est la Kabylie, c'est l'Oranie, c'est les Aurès, c'est une blessure immense, l'Algérie est une blessure qui ne se refermera jamais, c'est les yeux de mon père.
Avez-vous une idée de la littérature et de la culture algérienne ?

Oui, bien sûr, je me tiens régulièrement au courant, par le biais de mes amis, ainsi que par les médias et Internet.

Est-ce qu'un artiste algérien vous a déjà sollicité ?

Oui c'était Khalida Azzouza, mais ça n'a pas pu aboutir, cela dit et si l'occasion se présente, j'aimerais le faire avec le chanteur Idir.

Vous êtes aujourd'hui un parolier renommé, d'où vous vient cette passion des mots et ce profond désir de vous raconter ainsi ?
La passion des mots est venue de ma passion de la lecture, j'ai commencé à lire très jeune, j'étais très pauvre et je lisais ce que je pouvais trouver, des magazines et des romans policiers surtout. Cela m'a éloigné de ma condition de fils de pauvre qui allait à l'usine à treize ans et demi.
Les livres sont venus à mon secours. J'avais lu un jour : "Tout l'univers connu est gouverné par les livres". Alors j'ai essayé d'être un homme pour savoir ce que cela voulait dire et j'ai découvert l'univers des livres, des livres très précieux comme le dictionnaire, j'ai eu un Larousse, il y a des pages historiques, des pages en latin, et tu tombes là-dedans quand tu as 14-15 ans et après c'est fini, c'est tous les poètes : Aragon, Nazim Hikmet, Paul Eluard... Et ensuite les grands romanciers sont arrivés : Louis Ferdinand Céline, Proust, Dostoïevski, Tolstoï et je suis tombé dans les mots. Comment voulez-vous que je raconte un siècle... pourquoi est-ce que je ne le raconterais pas moi, à ma manière à moi, à ma façon ? Alors, j'ai décidé qu'un jour j'écrirais, ça ne s'est pas fait tout simplement mais j'ai commencé à écrire pour être lu à l'âge de 45 ans ! Je suis devenu un auteur populaire mais pas un auteur comme je le voulais, j'aurais aimé écrire "Le Grand Meaulnes" d'Alain Fournier mais ce n'est pas cela qui s'est passé. J'ai écrit des chansons et cela m'a amené à la reconnaissance du public, ce qui m'a conduit à écrire un roman... Enfin, ramassis de phrases dont un éditeur a fait un bouquin : « La Folitude », c'était une période de ma vie où tout m'était permis, j'étais riche, je me suis livré aux excès tels l'alcool et la drogue. Donc mon livre raconte une période de folie que j'ai vécue entre 1990 et 1995 et une rupture douloureuse. Je suis actuellement en train d'écrire mon second livre : "Un orage au bout de la pluie" qui relate mon père et mon enfance.
Racontez-nous votre parcours en France, vos meilleurs et pires souvenirs, vos objectifs, vos combats, vos galères, vos amours...

C'est le parcours d'un combattant dans le sens où je suis né d'un père militant du FLN... Alger, sa vie...ses souffrances...sa poésie bien sûr et je viens de là et mon parcours est celui d'un militant de la liberté, un militant communiste, un militant socialiste, un militant de Gauche, un soixante huitard , je suis passé par mille chemins.

J'aurais voulu être ou j'aurais aimé être syndicaliste, j'aurais aimé être un grand militant, un Krasucki, un Georges Marchais...mais en même temps un Platini, un Zidane, un Pelé ! On a aimé Guevara, on a manifesté contre la guerre du Vietnam, contre la guerre d'Algérie... Bon ! Tout ça... Mon parcours est un parcours de combattant mais de combattant en un mot et je n'ai jamais eu qu'un seul objectif : vivre libre et c'est pour cela que j'ai toujours aimé les poètes comme Leny Escudéro, qui célébraient la liberté.
Votre père était-il poète ?

Non...tous les hommes sont des poètes mais mon père ne savait pas ce que c'était un poète... Il rêvait...les poètes rêvent de liberté...mon père était un poète à sa façon, il était condamné pour ses idées, il pensait qu'il pouvait libérer son pays tout seul avec ses petites actions et il avait raison, c'est par de petites actions additionnées que l'on atteint un objectif... , comme disait Lénine : la vérité absolue, c'est l'addition de toutes le vérités relatives.
Qu'est-ce qui vous a donné l'envie de vous installer au Québec ?
C'est une très longue histoire mais arrivé au Québec, j'ai trouvé ce pays sublime, beau, chaleureux, accueillant... J'ai dit " je reviendrais ! " et j'y suis revenu et on m'a adopté alors j'ai dit "je me sens bien dans ma famille, ma famille humaine chez mes frères humains ! ". Puis j'ai pensé qu'à l'âge que j'avais à l'époque, la quarantaine, c'était le moment d'y aller, j'avais personne à qui me rattacher, pas de famille donc je m'en suis

trouvé une et cette famille-là m'a souhaité la bienvenue, donc je suis resté et on m'a accueilli dans ce pays.

Parlez-nous un peu de votre album en tant qu'interprète !

On m'a proposé quand j'avais 45 ans de faire un album tous frais payés, j'ai accepté. On a fait des essais Piano Voix, je chantais plus ou moins faux, j'étais jeune, on a mis une musique autour, on a embelli tout ça et l'album est sorti, un beau succès d'estime, un succès médiatique important et depuis ce temps-là, il y a 15 ou 16 ans, je leur ai dit, je vais en faire un autre un jour et puis voilà, je suis en train de le préparer .
Quelle est la période de votre vie que vous regrettez le plus ?

Aucune !

Parlez-nous des moments forts de votre carrière, du regard que vous portez sur

votre réussite personnelle et professionnelle.

J'ai un mauvais regard parce que je suis un privilégié... Mais je n'ai pas un mauvais regard sur ma vie, ma vie est une espèce d ' histoire comme disent  les américains :"Succes Story". C'est la vie d'un gars des cités qui devient Tabra... Que demander de plus ? J'étais déjà Tabra mais on ne le savait pas !
Qu'est-ce qui obnubile Roger Tabra aujourd'hui?
Un immense pays, le pays de mes rêves...Catherine Le Forestier chantait "au pays de ton corps". Moi, dans ma tête, il n'y a rien qu'une oeuvre inachevée parce que je sais que je vais mourir vite... parce que je me consume dans l'alcool... Dans ma tête, il n'y a qu'un cimetière des éléphants... Chaque nuit, j'écris, j'écris, j'écris pour ne pas mourir et en même temps pour mon fils.

Quelle est votre conception de l'amour et de l'amitié ?

Aucune ! Je vis, c'est tout, je n'ai pas de conception pour la raison suivante : c'est que l'amour et l'amitié sont des sentiments et que les sentiments sont irrationnels, me demander de définir l'amour ou l'amitié serait comme me demander de devenir rationnel...

Qu'aimeriez-vous changer en ce bas monde ?

Tout ! Le climat ; qu'il y ait de l'eau pour les gens qui ont soif, du blé pour les gens qui ont faim...

Qu'est-ce qui pousse d'après vous un homme à écrire autant sur l'amour, sur la vie ?
J'écris pour ne pas mourir…

Éprouvez-vous le désir de revenir en Algérie ?

Oui et pourquoi pas pour un spectacle avec des artistes québécois si je suis invité Officiellement mais je pense que cela ne se fera pas.
Le mot de la fin vous appartient Roger Tabra ! Vie comblée ou regrets ?

Vie comblée.


Interview réalisé par
Fanny Legressu .

* Paru initialement dans ALGERIE NEWS du Lundi 29 août 2011 , il est reproduit ici avec l'aimable permission de l'auteure .


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