Yves Julien Pescheur est le gérant de la société des éditions franco- berbère (Sefraber ) qu’il a fondé en 2006 avec son ami Mohamed
Lounnas , ce grand amateur de la culture
berbère n’a ménagé aucun effort pour promouvoir
la culture berbère sous tous ces aspects et mieux la faire connaitre auprès du
public francophone dans le monde.
Sacrifiant la
vie indolente et tranquille du retraité, M. Pescheur assure seul le fonctionnement
de l’édition après le départ de son associé, au four et au moulin, il gère tout lui même, de
la mise en page jusqu’à la commercialisation dans un secteur du livre algérien
en grande difficultés.
Véritable
ambassadeur du livre berbère, M. Pescheur sillonne le monde entier pour faire
découvrir la richesse de la culture berbère.
Il nous a obligeamment
accordé cet entretien.
-
Pouvez-vous vous présenter en
quelques mots à nos
lecteurs ?
Yves Julien Pescheur : je suis né le 11 Juin 1941 à Echenoz-la-Méline, un petit village de Franche Comté, j’ai donc connu dés ma naissance, la peur, le tocsin, les abris, les bombes, le rationnement alimentaire, et la libération.
Mon parcours
professionnel est passionnant :
employé à la
SNCF à l’âge de 16 ans car je n’aimais pas les études et mon père, un manuel, ne m’avait
pas laissé le choix : ou tu fais des études
ou tu travailles ! J’ai
donc choisi le travail, et je suis resté 12 ans à la SNCF
gravissant les échelons dans
les gares pour terminer modeste employé à la Direction Générale à
Paris. C’est là que j’ai vécu les événements de Mai 1968. Conditionné dans mon enfance par la famille et la
religion j’étais naturellement gaulliste, mais en quelques
mois j’ai compris que la vie ne se décidait pas au
moment de la naissance,
qu’elle se construisait à partir
des richesses des différences.
La
découverte du désert et les évènements de Mai 1968 en France, sont
deux facteurs qui m’ont permis de larguer les amarres, vis-à-vis
de ma religion d’une part , et des principes acquis par la force des
habitudes et de la pression familiale dès la naissance d’autre part.
J’ai donc démissionné de la
SNCF pour faire de la comptabilité, et
en 1971, j’ouvrais mon cabinet de
Conseil Fiscal à Dijon. J’ai exercé
une dizaine d’années. J’ai ensuite opté pour une carrière
dans le secteur sanitaire et social comme directeur de maison de retraite
médicalisée et à l’âge de 50 ans j’ai suivi
pendant 3 ans les formations qui préparent
au CAFDES.
On ne peut
pas comprendre mes motivations actuelles
sans connaître ces parcours
atypiques.
- Vous aviez découvert l’Algérie très jeune, lors de votre Service militaire , comment a été la rencontre ?
Yves Julien Pescheur : Appelé du contingent en 1961, je suis un des derniers méharistes de l’armée française. En Octobre 1961, je découvre le grand erg oriental à El Oued et très vite c’est à Bir Ben Douiem que ma tête éclate, cette époque constitue ma renaissance. Une grande chance, qui m’a permis de vivre pendant 18 mois dans le désert avec 70 algériens qui ne parlaient pratiquement pas français. J’avais 20 ans, j’ai vécu comme un nomade, sans jamais me servir de mon arme.
En 1968 je
fais partie des premiers échanges entre
jeunes algériens-algériennes et
français-françaises. Séjour de 3 semaines dans l’Est
Algérien où je découvre
l’autogestion et la commune : systèmes mis en place par le FLN et le Président
Boumedienne.
Les années s’enchaînent, je
passe pratiquement toutes mes
vacances en Algérie jusqu’en 1989.
Années merveilleuses
où je découvre par exemple le
Rêve Bleu de Safy Boutellah au monument
de Riad El Fath en 1988.
J’ai
beaucoup souffert des 10 années
qui ont suivi, pendant
lesquelles je ne suis pas revenu en
Algérie, mais en échange
je faisais près de 20 hébergements
chaque année pour des amis (es) algériens.
-
Comment monsieur Yves Julien Pescheur
a-t-il découvert la culture berbère et pourquoi un tel intérêt ?
Yves Julien Pescheur : En 2005,
je suis en retraite, je
vis très mal la rupture de mon rythme
de vie, C’est à cette date
que je rencontre un kabyle de Draa el Mizan, c’est lui qui m’a ouvert les portes de fer de
Kabylie. Bien que mon
parcours dans le Nord de l’Afrique existait depuis 40 ans, J’ignorais tout
des civilisations berbèro-imazighen, Ce fut
un grand choc
de constater qu’en France, où
résident au moins 6 millions d’Algériens, nous ne connaissions pas la
vie des anciens Numides et de leurs
différents envahisseurs. Pendant
près d’un an, je m’entretenais chaque vendredi avec Mohamed
Lounnas, lui dans
son cyber et moi dans
ma maison, c’est lui qui me demanda
de lire Mouloud Ferraoun, et c’est lui qui me dresse le tableau noir de la diffusion de la
littérature amazighe, et des
difficultés qu’elle a pour s’exprimer. Dès la fin
de 2006, je lui propose de venir à Tizi
Ouzou pour rencontrer des auteurs à la recherche d’un éditeur.
C’est à ce
moment que l’idée de la création de «
La Société des Éditions Franco-Berbères (SEFRABER) » s’est imposée ?
Yves Julien Pescheur : Oui, la rencontre s’est passée à l’Hotel Lalla Khadidja de Tizi Ouzou, et je découvre l’ampleur du travail à faire.
Les auteurs
kabyles me font part de leurs
difficultés pour être
édités : les éditeurs
algériens travaillent peu ou pas du
tout à compte d’éditeur, le
marché est essentiellement consacré
aux livres à caractère religieux.
Tamazight a été
interdit pendant des décennies.
Ces constats m’amènent à proposer
à Mohamed Lounnas une
association, nous créons Sefraber en France fin 2006.
Dés 2006,
nous mettons en place la ligne éditoriale de Sefraber :
-A l’époque de la création de Sefraber, on constate
que le recensement de la
population en Algérie en 1966 établit une proportion de locuteurs en tamazight à 18,6 % de la population soit
près de 3 millions de personnes, actuellement l’Algérie compte 34 millions d’habitants
et on estime que les locuteurs en
tamazighs représentent 10 millions de la population ( Salem Chaker aujourd’hui-
INALCO )
-En
France, on peut raisonnablement penser que le nombre de berbérophones se situe entre 1,5 et 2 millions de personnes composées pour 2/3 de berbérophones d’origine
algérienne et pour 1/3 de berbérophones
d’origine marocaine.
-Toujours
en France, les candidats à l’épreuve
facultative orale de langue berbère
au bac sont passés de 30 à 40
candidats en 1978-1979 , pour devenir
une épreuve facultative écrite depuis 1995 , regroupant plus de 2250 candidats en 2004.
La
poésie Berbère est essentiellement lyrique, associée à la musique et à la
danse.
Les Berbères chantent tous les travaux quotidiens, toutes les cérémonies de l'existence, les fêtes et les pèlerinages, les berceuses de l'enfance, les jeux et les comptines, les thrènes de la mort. Tous les thèmes de cette poésie sont simples, vrais et humains :
Les Berbères chantent tous les travaux quotidiens, toutes les cérémonies de l'existence, les fêtes et les pèlerinages, les berceuses de l'enfance, les jeux et les comptines, les thrènes de la mort. Tous les thèmes de cette poésie sont simples, vrais et humains :
L'exil
, la mort , Dieu , la tendresse maternelle.
Et
c'est par là que cette littérature " locale" qui ne cherchait
pas à être littéraire, s'inscrit tout naturellement dans le
patrimoine de la littérature universelle.
Sefraber
souhaite revisiter cette poésie, et la présenter
à son lectorat en France, mais aussi en Algérie et au Maroc et pourquoi
pas en Tunisie, sous une forme originale bilingue,
participant ainsi aux efforts des
grandes associations nationales de Berbères qui souhaitent faire vivre la culture berbère comme une culture de France.
- Nous
nous adressons à tous les auteurs
berbères qui ont des difficultés à
publier leurs œuvres.
- Permettre à tous ceux qui se
reconnaissent de ces régions douées d’une forte identité historique, politique
et socio-économique, d’accéder à nos parutions.
- Montrer, dire et raconter
la culture Berbère, par des travaux
d’auteurs et les archives des collectionneurs.
- Nous portons autant d’importance
aux documents, aux photographies, qu’à l’écriture.
- Découvrir, par le biais des
témoignages humains, les études et écrits historiques, mais aussi les archives
photographiques, la vie de ces communautés dans les villages et cités.
- Réunir les historiens, les
amateurs, les collectionneurs, les documentalistes qui travaillent sur leur
patrimoine et leur environnement.
- Donner naissance à des ouvrages
de qualité sur leurs divers héritages : historique, culturel, politique,
humain, communautaire, social et économique, dans une démarche artisanale à
laquelle nous souhaitons faire adhérer les auteurs publiés.
- Mettre à la portée du public,
sous une forme éditoriale originale et attractive, tous les aspects de la vie
et de l’histoire des peuples berbères.
- Diffuser les œuvres des
auteurs. Communiquer leurs travaux avec l’aide de la presse et des médias.
- Organiser des dédicaces, participer
aux Salons et Fêtes du livre et créer
des événements phares.
Dès 2006, Mohamed Lounnas et moi-même
étions conscients que fonctionnant essentiellement avec des auteurs kabyles, nous devions rester à l’écoute des
autres peuples berbères c’est pourquoi
nous avons choisi
délibérément l’appellation Franco-Berbère, et ce n’est
qu’en 2012 que nous éditons
le premier livre d’un marocain-amazigh.
A partir de 2010, nous précisons que Sefraber s’adresse
aux auteurs berbères et arabes.
Comment
jugez-vous le bilan de la Sefraber ?
Les objectifs sont-ils atteints ?
Yves Julien Pescheur : nous
avons mis la barre
trop haut, aucun objectif
n’a été atteint, que ce soit en France ou en Algérie, et depuis 3 ans,
Mohamed LOUNNAS a quitté la co-gérance
me laissant seul pour réaliser
tous les travaux d’une
micro entreprise de la mise en
page des livres à la commercialisation.
-
L’absence de lectorat a
pour conséquence le désintérêt des
libraires qui devraient pourtant
être le maillon fort de la
chaîne.
-
L’arrivée du numérique
en force, avec les tablettes ; il faut savoir que nous sommes en occident en
pleine révolution culturelle. Par jour : Amazone vend 250 livres
numérisés et seulement 100 livres
papier !
-
Des réseaux de distribution
qui s’adressent au quantitatif plus qu’au qualitatif,
-
Des auteurs de plus en
plus nombreux et exigeants, qui
sont complètement passifs face à la situation.
Face à ces défis j’ai décidé depuis 2013 d’être
présent chaque fois
que le livre était
supporté par une manifestation
culturelle. Ainsi j’étais
à Genève début Mai et les
ventes ont été conséquentes. En Juin ,
j’ai participé à deux manifestations
organisées par le consulat d’Algérie à Besançon. Ce mois
ci je suis en Algérie pour les
Raconte-Arts des Ath Yenni . Je
serai à Tunis en Octobre pour le salon du Kram
qui dure 11 jours, puis à Alger
début Novembre au
SILA, puis à Besançon en Novembre
pour un salon régional.
On m’a
accusé de faire
mon fonds de commerce avec la culture Berbère, ça
m’a beaucoup amusé, moi qui ai vendu ma maison en France et investi mes retraites
pour le livre amazigh ! à ce point
de l’imbécilité ça ne m’a même
pas mis en colère ! Je
souhaite m’arrêter dans 3
ans.
Tant que mon associé habitait en Algérie, le siège était à Tizi Ouzou, maintenant que je
suis seul gérant, autant passer ces 3
années dans un environnement idéal, et Bejaia est une ville d’exception, avec un aéroport, la mer
la montagne une activité
culturelle évidente, et une
qualité de vie certaine.
- La Sefraber
a déjà publié des auteurs chaouis ? est-ce que cela est possible dans
l’avenir ?
-
Yves Julien Pescheur : nous
avons probablement été considérés ( à tort ) comme éditeur kabyle, mais
les écrits restent
et depuis 2006 nous
avons bien précisé
que nous nous adressons à tous
les auteurs Berbères, et je suis devenu
en 7 ans un Amazigh de
cœur, c’est à dire
un homme libre, je reçois
souvent des manuscrits sans
connaître la région d’origine de
l’auteur, il n’est pas impossible
que j’aie reçu des manuscrits d’auteurs
Chaouis qui sont
encore en attente. En tous
cas le message est clair, Sefraber
est naturellement une maison d’édition d’auteurs Berbères sans exclusion !
-
Un dernier mot ?
-
Yves Julien Pescheur : Visiblement tamazight est foutu pour la
génération des quadras quinquas et plus
qui trouve bien des milliers de dinars pour acheter de la
bière mais qui ne
trouve pas 500 dinars pour acheter un livre.
C’est son choix ! N’en parlons plus…
A mon avis
nous devons nous adresser aux
enfants et revisiter les livres
de contes et les
fables et introduire une bonne
dose de BD. Nous devons éditer
en bilingue et le
plus souvent possible en trilingue.
Enfin s’agissant de livres
pour enfants, nous devons tenir
compte des besoins
des enseignants donc instaurer le plus rapidement possible un
dialogue avec eux. Ce n’est pas à
nous de dire
ce qui est bien ou mal pour le livre para scolaire.
J’ai trois
ans pour mettre en place ces
projets, et pour assurer la pérennité de Sefraber. Je continuerai
de le faire en m’appuyant sur tous les auteurs, en collaborant dans une
relation gagnant/gagnant avec mes
collègues éditeurs locaux et algériens,
avec les libraires et avec
toutes les associations
culturelles qui se donnent du mal
pour la culture amazighe.
C UN ESCROC!!!
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