mardi 14 mai 2013

Youcef Rezzoug « Le Matin a aggravé son cas et celui de Benchicou en publiant l'affaire de Tkout »



Youcef Rezzoug était le rédacteur en chef du journal Le Matin à l’époque des évènements tragiques de T’kout  , c’est lui qui a pris la courageuse décision de publier l’article « comment  j'étais torturé à T’kout » d’Abla Chérif  , Le Matin qui était le premier journal  a révéler  l’existence de la torture à T’kout et à décrire  l’ampleur de la répression dans la ville , était depuis quelques années dans le collimateur d’un pouvoir  liberticide qui ne tolérait pas la liberté du ton et la ligne éditoriale du journal  ,  Youcef Rezzoug savait que l’épée de Damoclès pendait dangereusement sur la tête du  Matin ; mais il a préféré avec Mohamed Benchicou dénoncer la torture des jeunes de T’kout au risque de compromettre de l’avenir du journal , écrivant par là l’une des plus belle page de l’histoire de la presse écrite algérienne.

M. Youcef  Rezzoug a accepté  de répondre à nos questions et de revenir sur ce douleureux épisode.



- Comment avez-vous vécu « Mayu aberkan » ?  



Youcef Rezzoug : J’étais rédacteur en chef du Matin au moment des événements de Tkout et c'est moi qui a décidé de publier, dès le premier jour, les faits ayant trait aux exactions subis par la population de T’kout. Je me rappelle de la Une frappée par le titre " comment j'étais torturé à Tkout" alors qu'on n'avait pas d’illustration photo et surtout que le journal travaillait beaucoup sur la photo. Alors que j'allais abandonnée cette ouverture, une information est tombée aux environs de 20 heures : George Bush  décide de fermer Abou Ghrib (la prison irakienne ou la torture a été pratiquée à grande échelle par les Marines). C'était notre illustration en deuxième ouverture : une photo d'un homme nu, l'un des torturés d'Abou Ghrib. Ce sont les photos faites par les soldats américains et qui ont circulé sur le net. Mon édito de l'édition de ce jour : « La torture, d'Abou Ghrib à Tkout » où  j'ai écris qu'Abou Ghrib n'est que la face médiatisée de la torture.

- Certains prétendent que la décision de la publication de ces révélations par le Matin était motivée par les ennuis judicaires de Mohamed Benchicou avec la justice algérienne.

Youcef Rezzoug :   Ces personnes dont tu parles et qui voient la complotite partout,  ne croient pas au courage des autres, ils expriment en vérité, par les doutes qu’ils colportent, leur lâcheté. Le Matin avait le pouvoir à dos depuis 2001 lorsqu'on a décidé de s'attaquer à la corruption et le système, avec ses différentes variantes, islamisme et le pouvoir corrompu.

Le lendemain de l'élection de Bouteflika, le 9 avril 2004, on a reçu des émissaires nous demandaient de changer de ligne pour pouvoir préserver le journal et éviter la prison à Benchicou. Le choix était en conférence de rédaction, pas à l'unanimité certes, de fermer le journal mieux qu'il perdra son âme. Le Matin a aggravé son cas et celui de Benchicou en publiant l'affaire Tkout.


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Quelque jours après  Mohamed Benchicou  fut arrêté à l’aéroport d’Alger,  ayant de bons de caisse sur lui il a été accusé d’infraction à la législation sur les mouvements de capitaux, qu’en-t-il vraiment ?

Youcef Rezzoug : Ce n’était pas une infraction, la direction de la douane et le syndicat ont fait une déclaration et une correspondance adressée au général Toufik pour dire que cette infraction n'existe pas et la police a outrepassé ses prérogatives... Et même s’il y avait une  infraction, il y a ce qu'on appelle à la douane le délit de transaction,  mais jamais  on ne  met quelqu'un en prison pour avoir voyager avec son carnet de chèque ou des bons de caisses. En fait, c'est quoi les bons de caisses que Benchicou avait dans son portefeuille...Ce sont des bons anonymes attestant que tu as de l'argent en dinars déposé dans une banque algérienne...des bons que tu ne peux les échanger à l'étranger ni les revendre...Des bons qui ne peuvent être encaisser qu'en Algérie et dans la banque débiteur...Le procureur d'El Harrach n'a trouvé à dire et sans aucune référence à la loi que Benchicou serait tenter à les échanger à l'étranger...Et pourtant il rentrait avec comme auparavant car il n'avait pas ou les mettre. Ce n'est qu'à sa libération qu'il y a eu une loi, dite loi Benchicou pour les avertis, interdisant de voyer avec les bons de caisses et le chéquier. Et pour trouver un chéquier ou un bon de caisses sur toi, il faut bien que la police te fouille et c'est une pratique n'est de mise que lorsque le pouvoir veut régler des comptes avec toi.

- Qu’elles étaient les circonstances de la liquidation du journal Le Matin ? Et est-ce qu’une réapparution est envisagée ?

Youcef Rezzoug : Le pouvoir a tenté au début de récupérer le journal tout en mettant Benchicou en prison mais ça n'a pas réussi: la ligne n'a pas changé. Il a ensuite instrumentalisé le ministère des finances pour nous imposer illégalement tout en envoyant les services chez les annonceurs pour nous boycotter. C'est l'étranglement financier. C'était le journal qui faisait vivre l'imprimerie d'Etat : plus d'un milliard 400 millions par mois et avec un mois de retard, l'imprimerie a arrêté d'imprimer le journal. Quand le syndicat de l'imprimerie a demandé comment l'entreprise va récupérer le marché perdu avec Le Matin, l'Etat a décidé d'injecter plus de 5 milliards dans l’imprimerie comme récompense.
Quant à la réa-parution, ils nous ont envoyé des émissaires et des propositions mais nous avons refusé de reprendre comme forme de caution au pouvoir, à soi-disant ouverture démocratique. On pose la condition de retour avec un jugement de tous ceux qui ont ordonné illégalement la liquidation du journal, réhabilitation (c’est vrai depuis un moment, la vie nous a donné raison sur toutes les affaires qu'on a publié et sur lesquelles on était condamné) et remboursement de l'argent du journal pris par le fisc et mis sous scellés.

Fatiha Rahmouni ancienne avocate des détenus de Tkout « Il y avait eu de la torture et plusieurs cas de sodomie »



Fatiha Rahmouni
Fatiha Rahmouni avocate au barreau d’Alger est une ardente et  infatigable militante  des droits de l’homme en Algérie, anciennes cadre du Mouvement démocrate social (MDS), cette native de Mekla dans la wilaya de Tizi Wezu  était de toutes les luttes sociales  pendant  les 20 dernières années , Me Rahmouni a eu assurer plusieurs fois la défense des personnes opprimés par une justice aux ordres , du  printemps noir en Kabylie , en passant par les chrétiens ‘’non-jeûneurs’’  jugés pour  « atteinte aux préceptes de l'islam » , jusqu’aux évènements de ‘’Mayu Aberkan’’ de Tkout   , Me Fatiha Rahmouni était toujours la porte-voix des  faibles . Aujourd’hui elle occupe le poste de secrétaire nationale aux droits de l'homme au sein du mouvement pour l’autonomie de la Kabylie (MAK).

Principale avocate du collectif de la défense des détenus de Tkout elle revient dans cet entretien  sur  les circonstances du déroulement du procès des jeunes détenus de Tkout .



- Comment vous aviez créé le collectif de défense des détenus de Tkout ?

Fatiha Rahmouni : le collectif a été créé par des militants du MDS, et du mouvement des Aârouche qui étaient impliqués dans ces évènements afin de défendre  ces jeunes et d’informer l’opinion nationale et internationale sur ces tragiques évènements.

- On parlait de  sévices graves dont se sont rendus coupable les éléments de la gendarmerie de Tkout  lors du Mayu aberkan  , de quelle nature sont-ils ?  

Fatiha Rahmouni : Il y avait eu plusieurs cas de torture, les détenus mineurs pour  la plupart , étaient insultés, giflés, déshabillés, puis roués de coups sur toutes les parties du corps, obligés de rester immobiles dans une certaine position pendant des heures, de dormir nus sur du gravier , plusieurs ont été violé par des  gendarmes , je les ai visité en prison et constaté  leur blessures , plusieurs avaient des hématomes encore visible sur le corps .

Lors du procès de  Mohamed Benchicou et Abla Chérif plusieurs jeunes ont raconté ce qu’on leur  a fait subir, les journalistes furent acquittés à l’issue du procès.

- Vous aviez défendu les détenus du printemps noir, est-ce qu’il y a des  ressemblances entre les deux évènements ?

 Fatiha Rahmouni : oui, dans les deux cas la justice n’était pas indépendante, c’était des procès politiques, pour justifier ces  crimes, l’Etat  cherche toujours un alibi, Massinissa Guermah était traité de voyou alors que Chouaïb Argabi  était qualifié de terroriste.

lundi 13 mai 2013

Salim Yezza : « Mayu Aberkan était le premier pas dans la longue marche vers la dignité et la liberté »


Salim Yezza le principal animateur de la protestation de Mayu Aberkan est le  symbole de la jeunesse chaouie  qui ose affronter l’injustice  et la tyrannie, lors  des évènements du 13 mai 2004 à T’kout  il va faire  l’objet de l’acharnement  d’un Etat  voyou  qui n’aura aucun  scrupule à recourir aux méthodes les plus ignobles  pour le réduire au silence , on le traque , le condamne par contumace à des lourdes peines lors de  parodies de procès , le menace à s’en prendre à sa famille s’il ne rendrait  pas , on mettra  ces menaces à exécution , en faisant  intrusion chez lui en dehors de tout cadre légal embarquant  son père et son frère , un lycéen , les service de sécurité  les accuseront tous les deux de trouble à l’ordre public et destruction de bien  , alors qu’ils n’ont jamais pris part à l’émeute.

Salim Yezza va se réfugier  pendant  les premiers jours de la répression dans les maquis environnants, perpétuant  ainsi la tradition des bandits d’honneur des Aurès, et l’un des  plus célèbre parmi eux   Messaoudh Ugzelmad  , ce justicier au grand cœur dont la bravoure et la droiture est encore chanté  par la mémoire populaire , Salim Yezza sera contraint à vivre en clandestinité  pendant  un an , mais prenant une part active dans la direction au sein du « mouvement citoyen des Aurès »  qui organisera la réplique contre l’acharnement des éléments de sécurités et de la justice algérienne contre la population de Tkout .

Né le 28 janvier 1974 à T’kout, sa mère,  une femme de caractère lui transmis  son amour de la liberté et son intrépidité, très jeune il développe un grand intérêt pour  l’histoire berbère et surtout au tifinagh ; qu’il lisait et écrivait déjà à l’âge de 11 ans grâce à son cousin Balkacem qui était enseignant de tifinagh à Bejaïa.

Hocine Mohamedi , un militant berbériste de Tkout découvre la conscience précoce du jeune Salim , il le prends sous son aile ainsi que d’autre enfants tkoutis  , il leur fait écouter la musique contestatrice  du groupe Debza interdit à l’époque et leur donnera des cours d’anglais , en réalité ces militants en herbe vont apprendre plus sur l’engagement politique et identitaire que sur la langue de Shakespeare  .

En 1989 Hocine Mohamedi  avec d’autres militants vont créer l’association amazigh de T’kout , dans laquelle Salim va être un membre très actif malgré son jeune âge , il apprendra beaucoup au sein de cette association qui éditera notamment la revue «Tamusni » .

Lycéen, Salim Yezza se fait connaitre par idées berbériste, participera  à toutes les contestations à T’kout et à Arris,  ensuite à la faveur de l’éphémère ouverture démocratique en Algérie consécutive aux évènements d’octobre 88  , Salim se jette dans l’action syndicale , il présidera le syndicat des commerçants de T’kout  , à  Ouargla et un peu partout où il voyage .

L’assassinat de Massinissa Guermah et le déclanchement du printemps noir en Kabylie était un tournant décisif dans l’engagement de Salim Yezza , la répression féroce de la population en Kabylie a eu un échos dans l’Aurès et particulièrement à T’kout , Salim nous dit «  ce fut des actions spontanée qui exprimait une colère contenue, les jeunes commençaient à écrire des tags avec des slogans hostiles au pouvoir, aux gendarmes …ect  , de là nous avions ressenti  la nécessité de nous organiser  , l’idée du mouvement citoyen des Aurès s’est imposer d’elle-même » , Salim et ces amis vont participer à la marche du MCB le 10 mai 2001 à Alger,  organiseront  une marche silencieuse  le 25 mai 2001 à T’kout  à l'occasion de l'hommage  du militants Tahar Achoura pour dénoncer la répression qui sévit en kabylie  , le groupe d’amis ne vont pas s’arrêter là , ils collaboreront avec d’autres militants des autres région des Aurès , des réunions auront lieu à T’Kout et Oum Bouagui  le 31 mais 2001 en vue d’organiser une grande marche , elle aura lieu à Batna le 7 juin 2001 et sera au nom du MCA .
Quelles jour après  Salim et ces amis vont créer  le mouvement citoyen  des Aurès ( Amussu  Agherman n wawras ) sur la base d’une plate-forme de revendications identitaires, sociales et économiques. 

Le 21  juillet 2001, Salim Yezza est contacté par un père de famille d’Arris, sa femme vient d’accoucher et les services de l’état civile d’Arris refusent d’inscrire le nom du nouveau né « Ghiles » , un sit-in est organisé devant la mairie d’Arris , devant l’importante mobilisation le pouvoir local abdique ,  « Ghiles » est enfin inscrit dans le registres des nouveau-né , la caravane des militants retourne à T’kout pour organiser une journée de protestation pour en finir avec la discrimination envers les prénoms berbères  et dénoncer  la bureaucratie  des pouvoirs locaux .

Infatigable militant , Salim va encore faire parler de lui , le 1 octobre à la veille de la visite du président de la république à Arris , Salim est arrêté alors qu’il distribuer des tracts contenants une caricature tournant en dérision une déclaration de Bouteflika  où il a qualifié les chaouis de «  goinfreurs de makroute » , Salim passera 5 heurs en détention  de 16 h à  21 h et serait libéré suite a la mobilisation citoyenne a Tkukt .

Viennent ensuite les évènements de « Mayu Aberkan » dont il était le principal animateur ce qui  fera  de lui l’ennemi public numéro un des services de sécurité, il revient avec nous dans cet entretien sur ces tragiques évènements.


- Combien a duré votre clandestinité ? Vous  étiez où ?

Salim Yezza : ma clandestinité à duré  un an, les premiers temps j’étais  a T’kout  jusqu’au jour ou le mouvement citoyen de Tkout qui c’est réuni a Alger décide de me faire sortir. En réalité à  Tkout je ne me sentais pas en clandestinité ; j’étais dans mon environnement naturel du combat, j’étais bien protégé par les citoyennes et les citoyens. Apres 15 jours du déclenchement des événements le mouvement a organisé ma sorti de Tkout.


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Comment tu l’as vécu ?


Salim Yezza : à Tkout  j’étais sur le champ de bataille, ça veut dire que j’étais  au courant de tout et je gérais  la situation avec les militants et les délégués qui étaient  sur place ou à l’extérieur de la ville ,  dans le feu de l’action j’avais  un sentiment d’être un guerrier,  le jour où je suis sorti de Tkout ce fut très dur pour moi pourtant j’étais hors du danger . La clandestinité est  une rébellion contre l’arbitraire, un refus de se soumettre à l’injustice, je la considère comme  une forme de lutte .


-Quelle était  l’issue de votre procès dans l’affaire de Mayu aberkan et celle des caricatures de Bouteflika ?


Salim Yezza
: pour les évènements de Mayu Aberkan j’étais condamné  a deux ans de prison ferme plus mandat d’arrêt, pour le caricature de Boutef un an de prison ferme et mandat d’arrêt, j’ai un autre procès concernant les graffitis en Tifinegh. Sans compter de nombreux autres procès entre 2001 et 2004, tous sanctionnés  par des condamnations très sévères. Quoique je considère que ces procès comme  une parodie qui prouve  l’inexistence d’une justice indépendante  en Algérie  je considère  tous ces ennuis judicaires comme un tribut  que j’ai payé  pour la démocratie et l’Etat de droit.

-9 ans après de ces tragiques évènements que reste-t-i de Mayu Aberkan  pour Salim Yezza ?

Salim Yezza : tout ce construit aujourd’hui sur Mayu Aberkan puisque sa plate forme et ses revendications ses slogans sont toujours d’actualité. Mayu Aberkan a renforcé notre détermination et nous a aidé à voir plus clair notre propre réalité et la nature dictatoriale et   violentes d’un régime médiocre arabo-islamiste adepte du tout sécuritaire. Mayu Aberkan était  le début d’un long processus   ce n’était qu’une étape de notre combat  qui n’est pas encore terminé, c’était le premier pas dans la langue marche vers la dignité et la liberté.


-Une tragique nouvelle vient de tomber ce week-end, Salah Lounissi a été importé par la silicose, un mot ?


Salim Yezza
: paix a son âme est a toutes les âmes qui ont lutté et souffert comme lui, sa mémoire restera parmi nous malgré son départ, Il a emporté avec lui une part de nous même et de notre histoire, faisons d’abord le deuil les jours viendront ou la justice leur sera rendue.


- T’kout vit aujourd’hui dans la pauvreté, les projets  de développement  dont la région a grand besoin demeure inexistants  , pas de débouchée pour  la jeunesse , la silicose frappe encore dans l’indifférence totale , vous pensez que le pouvoir central a la volonté de punir T’kout pour s’être révolté ?


 
Salim Yezza
: Non, je ne pense pas,  le mérite de ‘’Mayu aberkan’’ est qu’il a fait connaitre la  situation dans laquelle vit la population de T’kout  qui n’est pas très déférentes des autres régions du  pays , le seul mérite des T’koutis  c’est qu’ils se sont soulevés contre le mépris et l’injustice, ils ont montré qu’ils étaient des hommes  libres .


- Quel regard portez-vous  sur le mouvement de revendication identitaire dans les Aurès aujourd’hui ?


Salim Yezza
: Comme tout mouvement  social politique ou identitaire il a ses phases latente et ses phases manifestes. Il est plus fort que par le passé  mais toujours à la recherche d’un cadre structuré  et une coordination plus efficace.